Exposition: Piranèse et son empreinte : un rêve de pierre et d’encre
Figure emblématique de cette « Académie de l’Europe » qu’est Rome au 18e siècle, Piranèse (1720-1778) occupe une place singulière dans notre héritage artistique et notre culture visuelle.
Certes, il n’est pas seul à avoir fait accéder l’architecture figurée, réelle ou fictive, à un genre de plein droit. Mais cet artiste au génie impétueux et tourmenté, par la souplesse de sa technique, par ses effets dramatiques dans l’arrangement des lumières, ses disproportions et perspectives inattendues, a produit un univers visuel d’une puissance poétique inégalée.
Piranèse a nourri la veine française du néoclassicisme, et les efforts redoublés de ses fils ont permis de diffuser son oeuvre et d’étendre son influence depuis Rome ou Paris. Mais, après un demi-siècle de fascination, les productions de son génie n’ont pas échappé à l’usure de la curiosité et du goût. Dès la Restauration, les artistes du nouveau siècle se détournent de son empreinte. Bien qu’ici ou là tel amateur célèbre encore la « vigueur » de sa manière, on brocarde bientôt un oeuvre « improvisé avec facilité par l’imagination plutôt que produit par l’étude et par le temps » (Alfred Maury).
Cette déprise n’est pourtant pas totale. La poésie de ses planches, qui a tant et si précocement influencé l’art et la littérature préromantique, fait de Piranèse un passeur inopiné et, de ses Prisons, un motif obsédant que l’on retrouve en Angleterre puis en France, de Thomas De Quincey à Théophile Gautier. Il faut attendre l’entre-deux-guerres pour que le graveur recouvre la faveur des spécialistes, du public et des artistes qui y puisent à nouveau. Peut-être parce que son exploration inquiète du passé, son attrait pour le sublime et la démesure, pour la perte et la détresse, rejoignent les obsessions de notre temps.